Comment ils ont brûlé le marché du Live Shopping

Le plus souvent, en matière d’innovation, le marché s’emballe, très vite, trop vite, comme s’il était essentiel d’être le premier à la mettre en œuvre, quoi qu’il en coute, et quoi que cela rapporte. Le Live Shopping ne déroge pas à la règle. Surfant sur les résultats commerciaux extraordinaires des opérations asiatiques de social shopping, marques et distributeurs, aiguillonnés par d’habiles vendeurs de solutions techniques, ont lancé à tout va de multiples sessions de vidéo shopping live dont les résultats se sont avérés particulièrement décevants sur le plan économique. Tant et si bien que le nombre de ces initiatives a depuis drastiquement diminué. Le marché du Live Shopping a été brûlé et son redémarrage risque d’être compromis si l’on persiste à concevoir des contenus inadaptés aux attentes des consommateurs, et des projets sans réels retours sur investissement.

Mais que diable allaient-ils faire dans cette galère ?

Si le Live Shopping a été lancé pour la première fois en France en 1999, il aura fallu vingt ans pour que le marché s’y intéresse véritablement. C’est du côté de l’Asie que le sujet a été réactivé, vers la fin des années 2010, particulièrement au travers des réseaux sociaux chinois où des influenceurs ont commencé à vendre tout et n’importe quoi au cours de session vidéo live. Avec un succès incroyable puisque certains y ont réalisé des chiffres d’affaires de plusieurs centaines de millions d’euros en quelques heures au cours d’une même session ! Il était dès lors logique que les marques et enseignes françaises s’intéressent au phénomène, d’autant plus que les années COVID les ont obligées à développer leurs canaux de vente digitaux.

Les premières solutions techniques sont apparues en parallèle et se sont multipliées en quelques mois. En 2021 le marché était submergé de campagnes de communication autour d’opérations de Live Shopping rendues facilement accessibles. Elles reprenaient le formalisme des sessions déployées sur les réseaux sociaux et accédées par les clients majoritairement au travers de leurs smartphones. L’interface était basique, incluant un format vidéo « portrait », un bouton de publication d’émoticons, un chat et des mini fiches décrivant les produits vendus au cours des sessions. A de rares exceptions près, les contenus éditoriaux étaient de type « téléachat », privilégiant la présentation et la démonstration de produits.

En matière de réalisation vidéo, deux approches ont été mises en œuvre. Les marques et distributeurs disposant de moyens importants ont proposés des formats de type télévisuels, très sophistiqués, très couteux, n’hésitant pas à y faire intervenir des personnalités aux cachets mirobolants. A l’opposé, d’autres optaient pour des formats minimalistes, reposant le plus souvent sur une captation vidéo via un smartphone, et animés par un collaborateur ou une collaboratrice pas toujours aguerris au streaming live. Dans un cas comme dans l’autre, les formats s’avéraient inadaptés. Disproportionnés et caricaturaux pour les uns, à la limite de la préservation de l’image de marque pour les autres.

Certaines opérations ont affiché des résultats significatifs en termes d’audience, allant jusqu’à plusieurs centaines de milliers de visiteurs à condition que les dispositifs informatiques soient rétablis après crashs liés à la charge… D’autres ont souffert au contraire de la difficulté à créer un trafic suffisant vers leurs opérations. Quant aux chiffres d’affaires générés, même si personne n’a communiqué sur ses résultats, on peut affirmer après enquêtes que les opérations se sont avérées extrêmement décevantes. Là où les opérations asiatiques enregistraient des taux de transformation exceptionnels, les opérations de Live Shopping françaises dépassaient rarement les taux de transformation enregistrés habituellement sur les sites d’e-commerce. Le bilan est donc négatif en raison des coûts de production trop élevés et d’un nombre de commandes trop bas. Le comportement d’achat des asiatiques ainsi que leurs usages digitaux, sont définitivement différents de ceux des européens. Le copier-coller en Europe de leurs opérations ne pouvait conduire qu’à un échec.

Alors, faut-il ranger le Live Shopping au musée du Digital et du E-commerce ? Certainement pas. En revanche un grand ménage s’impose ! Cela devrait être le cas du côté des solutions techniques car, si le désamour actuel pour le Live Shopping persistait, bon nombre d’entre elles vont devoir se réorienter ou vont disparaître. D’autant plus qu’il n’y a pas véritablement de barrière technologique à la mise en œuvre de ce type d’opérations. Du côté des réseaux sociaux, pour ainsi dire la messe est dite. Après Facebook en octobre 2022, Meta a annoncé un arrêt des opérations de Live Shopping sur Instagram le 16 mars 2023 et limitera désormais les fonctionnalités e-commerce sur ses réseaux pour « se concentrer sur ses priorités » …

C’est la question du modèle économique qui devrait occuper le marché dans les prochains mois afin de redresser la barre. 3 sujets doivent être abordés dans ce cadre : la capacité à transformer un visiteur en client, le coût de production des opérations et, comme pour tout modèle digital, la capacité à créer un trafic qualifié suffisant et le coût associé.

Transformer un visiteur en acheteur grâce à la vidéo

Oui, la vidéo deviendra le format indispensable à certaines situations d’achat en ligne et permettra d’augmenter significativement les taux de transformation. Jusqu’à présent les e-commerçants ont déployé des modèles de vente dont l’objectif était de répondre à un besoin précis exprimé préalablement par un client, qu’il soit particulier ou professionnel. Dans ce cadre, une boutique en ligne permettant d’accéder rapidement à la réponse la plus pertinente vis-à-vis du besoin, s’avère bien adaptée. Le parcours client est assez simple : recherche, sélection, achat. Mais tout se complique dès lors que l’on adresse des situations d’achat où les produits sont complexes à sélectionner en libre-service ou qu’il s’agit de susciter le besoin.

Les moyens à mettre en œuvre lorsque l’on souhaite proposer un produit ou un service à un client qui n’en a pas préalablement exprimé le besoin, sont spécifiques. Le processus d’achat débute nécessairement par la séduction du client. C’est ici que les catalogues électroniques touchent à leur limite, sauf à travailler sur une forte réduction du prix, comme l’a fait Veepee. Un site e-commerce traditionnel ne met en œuvre aucun des leviers nécessaires pour générer de l’envie.

En effet, il faut inspirer le client, créer de l’émotion et provoquer l’impulsion d’achat. Le contenu éditorial et la contextualisation du produit ou service deviennent des facteurs clés de succès. Le catalogue e-commerce traditionnel n’apporte donc pas une réponse pertinente. La vidéo peut participer à pallier cette insuffisance. Au travers d’un contenu éditorial et d’un format de programme adaptés, elle crée de la proximité, délivre simplement et rapidement les informations essentielles sur le produit ou service, permet au client de se projeter dans l’usage qu’il en aura, voire saura générer de l’émotion. Lorsque la vidéo est proposée au cours d’une session live, l’interactivité permet également de s’appuyer sur une personnalisation des messages au travers des réponses apportées aux questions posées en direct par les visiteurs.

Tous les produits ne se prêtent donc pas au Live Shopping. La vidéo et le programme doivent revêtir, pour le client, une valeur ajoutée dans le cadre de la découverte du produit ou du service. Les critères qui permettent d’identifier les offres à présenter par ce biais sont le besoin de conseil, d’accompagnement ou de réassurance, la sensation de faire une « bonne affaire », la dimension affective. Le caractère événementiel de la vente peut également justifier un traitement audiovisuel dès lors que ses ressorts s’y prêtent : nouveauté, exclusivité, pénurie, opération prix, déstockage, etc. Il faut également prendre en considération le prix moyen des produits ou services proposés, le montant du panier moyen et le niveau de marge pour ne pas pénaliser l’opération au travers d’une offre incompatible avec les charges de production et communication.

Optimiser les coûts de production des opérations

Non, un commerçant n’est pas une chaine de télévision ! Nul besoin de singer TF1 pour vendre des produits ou services au travers de la vidéo. Au contraire, la minimisation des coûts de production, captation, post-production et diffusion participe largement à la pertinence du modèle économique. Les programmes se doivent d’être de qualité mais les coûts inutiles doivent être bannis. D’autant plus si les programmes doivent être réalisés et diffusés régulièrement.

La pertinence du programme repose avant tout sur son message éditorial et commercial et non pas sur la qualité ou la sophistication de sa réalisation audiovisuelle. La plupart des sociétés de production vidéo mettent en œuvre des moyens disproportionnés. Elles cherchent à se diversifier au travers de ce type de prestation et ont du mal à s’adapter à leur contexte économique tendu. Ainsi, on oubliera la captation en 4K, les studios vidéo suréquipés en plein cœur des quartiers les plus couteux, la multiplicité des cadreurs, les ingénieurs son, lumière, les régisseurs, … On cherche au contraire à réduire l’équipe nécessaire et on choisit des lieux de tournage adaptés à la situation. On limitera également les effets gadgets, les titrages inutiles, les incrustations sans valeur ajoutée, … Attention tout de même ! La qualité de la captation est néanmoins indispensable. On cherchera à tourner en multi caméras HD, mais en limitant le nombre de cadreurs, avec un éclairage suffisant pour garantir une image suffisamment qualitative. Les moyens techniques qui permettent de produire des contenus vidéos suffisamment qualitatifs sont aujourd’hui très accessibles. C’est le coût des ressources humaines qui est à mettre sous contrôle.

L’efficacité du programme sera liée en grande partie à sa dynamique. Elle repose notamment sur l’animation du programme. S’il est totalement inutile de la confier à une star de la scène, du petit ou du grand écran, la personne en charge de l’animation doit être cependant expérimentée. Si le programme doit être diffusé en live, l’animateur ou l’animatrice doit être en mesure d’assurer ce type de prestation qui réclame aussi de la spontanéité, un sens de l’improvisation et de l’à-propos. On préfèrera ainsi un « streamer » à un « youtubeur ». Sans tomber dans la caricature du camelot ou du téléachat, il ou elle doit également prendre en considération la dimension commerciale du programme.

Enfin, on cherchera à minimiser les coûts de postproduction en tournant en condition de live, même si le programme n’est destiné qu’à être diffusé en replay.

Générer le trafic adapté à moindre coût

A quoi sert de produire un programme audiovisuel s’il n’est que peu visionné par la cible client ? Le sujet de l’audience est le troisième pilier clé de l’équation économique du live shopping.

Parce qu’il est traditionnellement très difficile de fixer des rendez-vous précis en ligne, la génération de trafic vers le Live Shopping, le jour J, à l’heure H, est complexe à réaliser. Pour être en mesure de mesurer une audience significative, il faut que celle-ci soit fan de l’enseigne ou de la marque ou que la promesse éditoriale et/ou commerciale émise soit très significative. Certains ont voulu s’appuyer sur des personnalités pour créer du trafic. Les visiteurs se sont connectés pour les voir, pas pour acheter les produits ou services qu’elle promouvaient. Les opérations ont été des fiascos commerciaux.

Les influenceurs peuvent parfois mobiliser leur communauté pour générer du trafic vers une opération précise. En revanche, les réseaux sociaux proposant de moins en moins la possibilité de réaliser du Live Shopping, les opérations se déroulent sur des plateformes externes. Il est moins efficace pour les influenceurs de promouvoir efficacement ces événements. Une solution peut consister à confier l’animation du programme à l’influenceur qui aura moins de difficulté à driver sa communauté vers l’extérieur.

Le dispositif mis en place pour drainer une audience ciblée vers un live doit donc s’appuyer sur un message marketing et/ou commercial fort. Le jour et l’heure du live doivent être choisis en fonction des comportements de la cible visée. Les canaux de communication doivent être sélectionnés en fonction de leur capacité à communiquer un rendez-vous. On aura beaucoup plus de facilité à générer du trafic vers le replay de l’opération qui s’apparente à une communication vers une offre e-commerce classique. Encore faut-il ne pas avoir consommé l’ensemble de son budget marketing sur la communication du live…

Enfin, on privilégiera l’utilisation de l’emailing sur la base de ses clients et prospects qui sont logiquement en appétence avec la marque / enseigne et les produits et services proposés.

Le Live Shopping est mort ? Vive le Vidéo Shopping !

Certains se sont par conséquent brulé les ailes en s’essayant trop rapidement, et avec des moyens inadaptés, au Live Shopping. Dommage, car la vidéo va devenir un incontournable des modèles e-commerce, tout particulièrement ceux basés sur une offre qui correspond à des situations d’achat complexes pour lesquelles le client doit être accompagné ou rassuré.

Le bât blesse à partir du moment où l’on fait supporter l’ensemble des coûts à une diffusion événementielle live de type téléshopping. Si, au contraire, on pense l’opération pour améliorer en général les taux de transformation sur des produits pour lequel le pur libre-service est un frein à l’achat, alors on utilisera la vidéo, éventuellement sur des opérations diffusées une première fois en live, mais surtout dans des programmes accessibles en permanence, en « replay », et dont les séquences permettent d’enrichir les fiches produits traditionnelles. On passe d’une stratégie de Live Shopping à une stratégie de Vidéo Shopping dont l’équation économique est beaucoup plus favorable. D’autant plus que le Vidéo Shopping permet également d’alimenter efficacement l’image de la marque ou de l’enseigne au travers d’une approche de type « Brand Content ».

Enfin, le dispositif cible du Vidéo Shopping devrait intégrer à terme des sessions « one to many » et des « sessions « one to one ». L’émergence de nouvelles dimensions, telles que la réalité augmentée (AR) et la réalité virtuelle (VR) conduira les distributeurs et marques à déployer de véritables « digital sales room », magasins digitaux venant utilement compléter les catalogues e-commerce actuels.